Ahmed BENANI Biographie, Engagement et Contributions

Né en 1948 à Meknès (Maroc), fils d’un théologien résistant et révolutionnaire, Ahmed Benani arrive en Suisse à la fin des années 60. Il obtient sa licence en sciences politiques et son doctorat à l’Université de Lausanne. Pendant ses études, on le voit dans les rangs trotskistes. Avant de défendre sa thèse, il s’engage pour le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) en Asie du Sud-Est puis en Afrique. Opposé au régime marocain, il ne rentrera pas au pays.

C’est fort de ce bagage qu’Ahmed Benani est engagé au Gymnase de Chamblandes, à Pully, où il enseigne le français et l’histoire. Il est aussi chargé de mettre sur pied les cours d’histoire et sciences des religions pour les gymnases. Parallèlement, dans les années 90, il est chargé de cours de sociologie religieuse à l’Université de Lausanne. Il donne de nombreuses conférences sur le rapport entre politique et religion à travers le monde.

Grand défenseur des droits de l’homme et de la citoyenneté républicaine, Ahmed Benani aura milité toute sa vie avec intelligence et virulence contre la vidange de la tête des jeunes et pour le développement de leur esprit critique. (Source 24h Suisse)

Ses contributions dans la liste maghreb ddh suscitent toujours des réactions par rapport aux sujets relatifs aux Droits de l’Homme au Maroc. Son audace à exposer ses points de vue émane d’une liberté de penser.

En plus, son engagement en tant qu’intellectuel militant a fait l’unanimité auprès des défenseurEs des Droits Humains au Maroc et ailleurs. Qui plus est, son implication physique et morale dans le mouvement 20 Février prouve qu’il était toujours du côté des causes justes. Ses analyses de cette dynamique imprévisible, ses écrits ainsi que les débats qu’il a animés sur les plateaux de télévisions suisses sont toujours d’actualité. En tant que défenseur de la liberté d’expression, Ahmed Benani, malgré son état de santé, a remarquablement soutenu avec d’autres militantEs le journaliste Marocain Ali Lamrabet dans son combat pour l’obtention de son passeport.

Ahmed Benani l’anthropologue des religions, en l’occurrence l’islam, était habité par la rigueur qu’impose la recherche tout en mettant en exergue le concept et la contextualisation en vue d’assigner à ce concept une connotation historique. Du coup, la déconstruction prend le dessus et s’arrange du côté de la critique, laquelle déconstruction capitalise sur la référence et dynamise l’entreprise. Faire dialoguer César et le pape en est l’illustration. Que signifie ce rapprochement de deux entités dont le voisinage est visiblement impossible ? Dans sa contribution lors d’un séminaire organisé à Beyrouth, Ahmed Benani nous livre son point du vue sur la bataille que le papisme tout au long de l’histoire voulait remporter. « . Le césaro-papisme, c'est la confusion entre le domaine de césar et celui du pape, entre le champ dévolu au pouvoir civil et celui sur lequel tente de régner l'autorité religieuse. » Fin de citation. Force est de constater que le pari sur lequel misait le papisme est soldé par cette séparation qu’a engendré ce qu’on appelle la laïcité ou la sécularisation en donnant à César ce qu’il lui appartient. Mais la question qui se pose et à laquelle adhère Ahmed Benani en s’appuyant sur des thèses qui attestent de ce décalage, est relative au fait que la séparation entre César et le papisme ne s’est pas produite dans les règles qu’exigent le rationalisme, voire la modernité. Ahmed Benani argumente cette iniquité génératrice de violence en piochant les analyses fournies par des penseurs dont les conclusions traduisent la réalité de ce clivage.

Voici ce que rapporte Ahmed Benani dans ce sens : Pour Gauchet, il écrit : « l’exacerbation du sentiment religieux n’est qu’une riposte identitaire à la modernité. Le fondamentalisme notamment, tout en donnant l’impression d’être du côté de la tradition, ne fait qu’achever l’avènement de l’individu et participe ainsi à la sortie du religieux qu’il combat. La communauté traditionnelle est destituée au nom de la conviction personnelle. Par conséquent, les « retours du religieux » ne peuvent être à ses yeux assimilés à un retour de la religion : « ils procèdent davantage d’une adaptation de la croyance aux conditions modernes de la vie sociale et personnelle. L’activation de la foi pourrait bien avoir pour rôle véritable, dans ce cas, de fabriquer de l’individu à partir de son contraire, la tradition. Elle substitue l’ordre de la conviction personnelle à l’empire de la coutume et de la communauté. » Fin de citation. Au-delà de l’intérêt qu’apporte ce genre d’analyse à la problématique de la sécularisation surtout dans les pays sud méditerranéens marqués par l’imprévisible, qualifié de printemps arabe, l’appel d’Ahmed Benani qui consiste à repenser la religion et s’en distancier. « Il faut mener une réflexion sur le fait religieux, saisi dans sa dimension anthropologique et politique, plus que sur le texte religieux lui-même », évoque-t-il, me semble adéquat avec le débat accompagnant les changements auxquels s’affronte le sud méditerranéen et va dans ce sens et que les combats menés par les forces vives de cette partie géographiquement voisine de l’Europe s’inscrit dans cette dynamique. D’où la pertinence de ce questionnement : les avancées dans le statut de la femme, notamment en Tunisie, aussi minimes soit-elles, ne relèvent –t- elles d’une prise de conscience de l’importance de l’égalité dans le développement démocratique ?

Force est de constater, chemin faisant que l’islamologue Ahmed Benani ne s’est pas limité à décortiquer le concept dans sa portée, je dirais abstraite, mais il a poussé la réflexion en déconstruisant la structure dans laquelle le politique pour ne pas dire le pouvoir cohabite avec le théologique. Et ce pour légitimer la déraison de la pratique terrestre par le céleste. Ainsi, la légitimité est sacralisée, dans la mesure où l’identification au Kalifa demeure synonyme d’une certaine inspiration divine justifiée par le religieux. Dans ce cas de figure, la légitimité échappe à la raison et déroge au contrat. Cependant, « La légitimation contractuelle, comme son nom l'indique, s'articule à la notion de contrat et ressort d’un registre plus positiviste qui semble être orienté vers la raison d’Etat ou l’Etat de Droit. » rappelle Ahmed Benani.

Il se trouve que la légitimité divine nourrie par la chaîne symbolique, pour reprendre le politologue Ahmed Benani, contrairement au légitime dont le droit prime, endigue la liberté de choix d’expression et attribue à la gouvernance un sens autoritaire, voire totalitaire. Ahmed Benani a réussi à nous dresser le portrait de cette légitimité dont le sacré s’identifie au pouvoir, loin de l’individualité et la raison. « La référence à la sacralité est, en effet, lourde de sens, elle postule de transcender toute hiérarchie des normes et des acteurs politiques. » Ahmed Benani

Repenser le système éducatif Marocain est l’une des préoccupations de l’anthropologue Ahmed Benani. Ses réflexions qui datent de la fin des années 80 montrent à quel point ses distances avec un système obsolète dont les réformes étaient toujours guidées par une vision idéologique, sont animées par une vision critique qui prouve encore une fois que les politiques menées dans le domaine de l’enseignement sont automatiquement vouées à l’échec. La politique d’arabisation en est l’exemple .L’échec de quarante ans d’arabisation en dit long sur la faillite d’une idéologie qui s’est fabriquée en décalage par rapport la modernisation. Ahmed Benani nous éclaire dans une analyse des dessous idéologiques de l’arabisation. Il s’agit d’une réflexion qui doit être perçue dans un contexte caractérisé par une hypocrisie sur laquelle le pouvoir s’est arc-bouté pour imposer un système non éducatif dont le monolinguisme n’a jamais pris en considération le pluralisme linguistique de la société Marocaine ni l’ouverture sur d’autres cultures , et donc d’autres langues. D’autant plus que ce monolinguisme qui se voulait identitaire, adoptant des méthodes archaïques dont l’apprentissage par cœur prenait le dessus, a fini par succomber. Voici un extrait de l’analyse apportée par Ahmed Bennai dans laquelle il évoque les dessous idéologiques d’une arabisation ratée et regrettée par le même système qu’il l’a engendrée. Je cite : « L'arabisation ainsi entendue est donc un processus de recouvrement de l'identité culturelle nationale dont la finalité est d'enrayer la présence des langues étrangères, notamment le français et l'anglais. Toujours au Maroc, il est intéressant de relever ici les termes d'un manifeste signé par des oulémas, des intellectuels et des hommes de pensée qui écrivent: « [La politique du bilinguisme] raffermit et consolide la langue étrangère au sein de l'administration marocaine, au détriment de la langue nationale, qui est en même temps la langue du Coran. Elle déforme la langue parlée chez les générations actuelles, qui s'expriment en une langue" métissée" qui n'est ni arabe pur ni français pur. Elle affaiblit les valeurs morales et spirituelles aux yeux des jeunes générations. Elle porte préjudice à l'enseignement islamique et à l'enseignement arabe privé. » Dans le même manifeste, on relève que « le français porte atteinte à la souveraineté nationale et à la foi islamique des Marocains [...] Il corrompt la jeunesse non seulement dans sa compétence linguistique mais aussi dans ses valeurs morales et spirituelles. » Fin de citation. La pertinence de son l’analyse nous permet de poser la question suivante : Si l’arabisation comme le prétend les soi-disant Oulamas( savants) est un processus de recouvrement de l’identité culturelle nationale dont la finalité est d’enrayer la présence des langues étrangères, notamment l’anglais et le français, pourquoi donc ce revirement ? Le fait qu’il s’est avéré que ce système éducatif basé sur le monolinguisme n’a pas abouti et que les responsables politiques optent pour le retour à l’enseignement de disciplines scientifiques en langue Française, témoigne de l’absence d’une vision stratégique des responsables politiques dans le domaine de l’enseignement.

Vous avez sans doute constaté comme moi, la richesse de la pensée d’Ahmed Benani et l’audace intellectuelle avec laquelle il a confronté une réalité dont le contraste est de mise. De plus, la qualité de ses contributions nous ouvre d’autres horizons et nous balise d’autres pistes en vue de repenser notre Nous et le rôle d’un Je libre et autonome, susceptible de participer au développement démocratique auquel notre cher Ahmed aspire.

Paix à ton  âme