Ahlam, le rêve gâché de Gaza.



Ahlam est le prénom d’une fille âgée de dix ans. Chétive, on la voit porter un bidon rempli d’eau qu’elle va ramener à...
Abdelmajid BAROUDI

Ahlam est le prénom d’une fille âgée de dix ans. Chétive, on la voit porter un bidon rempli d’eau qu’elle va ramener à sa famille obligée de se déplacer dans le sud de Gaza afin de se mettre à l’abri des bombardements de forces armées israéliennes. Elle, sa mère, son père et ses deux frères sont entassés dans un refuge qui ressemble à une tente. Au nord de Gaza où nous vivions, je fréquentais régulièrement l’école, dit-elle. J’étais toujours placée

parmi les premiers de ma classe. Ma maîtresse ne cesse de m’encourager et me dit: si tu continues comme ça, tu auras un bel avenir, tu t’appelles Ahlam, ton nom te va bien car tes rêves vont sûrement être réalisés, tu bosses bien, et donc tu seras récompensée. Je ne savais pas que ce massacre allait détruire mes rêves, nous confie-t-elle. Désormais, le nom d’Ahlam se transforme en cauchemar. Il n’a plus qu’un souhait, c’est de survivre.  Si la notion du Droit prend sa légitimité de son universalité, c’est que son application doit être générale et son distinction aucune. Ahlam, tout comme le reste des enfants de Gaza, est privée du Droit à la scolarisation à cause du massacre qui dure plus de cinq mois. Il se trouve que le silence, voire la complicité brouillent   le droit. Du coup, le plaisir de philosopher se convertit en amertume.

Je ne pense plus à l’école, je n’ai qu’un souci est de survivre. J’étais étonné par sa conception de survie engendrée par le trauma colonial. Voici ce que nous livre Ahlam. Depuis que nous avons quitté le nord de Gaza malgré nous, j’ai cru que les bombardements allaient s’amoindrir, hélas, ils se sont intensifiés. Il vaut mieux mourir que de vivre ce cauchemar tout le temps.  J’aurais aimé mourir sous les décombres de notre maison au nord de Gaza que de survivre sous un abri en plastique. Le sommeil ne fait plus partie de notre quotidien. Comment peut-on dormir alors que l’image d’une bombe qui va nous tomber dessus ne nous quitte pas ?  A mon avis, il vaut mieux mourir que survivre.  On ne sent qu’une seule odeur qui circule dans ces quartiers où sont entassés plus d’un million de réfugiéEs, celle de la mort. Aucun signe de joie, que des pleurs. Notre mort qui voisine la survie est double. Nous voulons échapper à la mort perpétrée par les bombardements de forces armées israéliennes, alors que la mort qu'entraîne la faim nous guette. Pour moi, aller chercher de l’eau pour survivre veut dire rencontrer la mort. Et si par hasard, la mort n’est pas au rendez-vous, la survie en esquive   la date et essaye coûte que coûte de reporter ce rendez-vous que seule la mort a le pouvoir de fixer. Aujourd’hui, demain, après-demain, qui sait.

Et pendant ce temps-là que la machine génocidaire marche comme le veut l’oncle Sam, notre pseudo intellectuel, et faux philosophe qui récolte l’émerveillement de l’ignorance sur les plateaux de télévisions françaises spécule sur la notion de l’humain. Il fallait qu’il attende que le nombre de victimes du massacre de Gaza dépasse les quarante mille pour qu’il invente une nouvelle prophétie sur la notion de l’humain. Lui qui sifflote sa bière dans le bistro du quartier huppé à Montparnasse, ne connaît pas la souffrance et la survie, il se contente de les théoriser. Ce n’est que tardivement, à cause d’une fausse prise de conscience qu’il prétend réaliser l’ampleur du désastre en appelant Kant et Nietzsche à la rescousse d’un discours camouflant les dessous haineux d’autrui.  Je lui dis : la maturité se trouve dans l’amertume. Ahlam est plus mûre que toi.

Abdelmajid Baroud