Le phénomène Zemmour, est-il un feu de paille ?
Les sondages les pourcentages ne cessent de vendre à l’opinion publique française un produit dont le virtuel prime sur le réel. Zemmour grimpe dans les sondages même s’il n’est pas encore déclaré candidat aux présidentielles. Entre temps , le polémiste continue librement de faire la propagande de son torchon et exciter l’ignorance dans des salles pleines à craquer où la différence n’est qu’un prétexte pour cultiver l’assimilation sur laquelle Eric Zemmour Surfe, dans le but de caresser la phobie d’autrui , comme si la France était toujours identique à elle même et que la différence nuisait à au vivre -ensemble.
Déjà le titre prête à confusion. « La France n’a pas dit son dernier mot. (1) » On dirait que tout le monde a pris la parole sauf la France. Elle attend Zemmour pour qu’elle l’aide à conclure, c'est-à-dire à mettre fin à cette discussion dont la France est inaudible en imposant son dernier mot. C’est curieux, la France s’est tue tout ce temps jusqu’à ce qu’arrive Éric Zemmour comme ça, tel un phénix, l’incitant à abandonner le silence et exprimer ce qu’elle a sur le cœur. Ce n’est pas mal comme stratégie : parier sur le silence pour faire rentrer de l’argent.
Le torchon est mal écrit et mal présenté. Est-il le cas pour La France n’a pas dit son dernier mot ? L’objectivité impose qu’on juge ce livre par son style et son emballage. Pour ce qui est de l’écrit, il va sans dire que cet ouvrage est le produit de quelqu’un qui maîtrise la langue française. Mais il est mal présenté. Je me demande en le lisant, s’il s’agit d’autobiographie d’ordre intellectuel, si j’ose dire, ou bien d’un essai. Cet écrit n’est, à mon avis, ni essai, ni autobiographie. Mon jugement, n’étant que lecteur, me laisse le choix de le qualifier de torchon parce qu’il est tout simplement mal présenté. Il suffit d’écouter Éric Zemmour sans le lire puisqu’il se contente de répéter ce qu’il a écrit dans son livre. Or, l’écriture exige la prédisposition à la contradiction, laquelle enrichit le débat et incite l’auteur à revoir ses thèses et ses conclusions. C’est à ce dur exercice de la pensée que Martin Heidegger nous invite, je cite : « L’homme peut penser, en ce sens qu’il en a la possibilité. Mais cette possibilité ne nous garantit encore pas que la chose est en notre pouvoir. (2) » Éric Zemmour, est-il prêt à s’engager dans cette démarche heideggérienne selon laquelle apprendre à penser est un aveu que nous ne sommes pas encore en pouvoir de penser ? La réponse est non car la différence est énorme entre le penseur et le polémiste qu’est Zemmour. Celui -ci fonctionne à l’aide d’une batterie d’idées qui n’est pas rechargeable à vie.
Le livre, La France n’a pas dit son dernier mot, se présente comme assemblage de notes réparties chronologiquement sur plusieurs décennies allant de 2006 à 2020. Chaque chronique est titrée. Que raconte-t-il dans ses chroniques ? D’après ce que j’ai lu, rien de très intéressant, hormis des déjeuners ou dîners que le polémiste a pris avec d’autres journalistes, hommes d’affaires ou politiques. Je me demande à quoi sert de parler du coup de tête de Zidane ou ses désaccords avec Yann Moix. Je ne pense pas que les françaises et les français sont intéressés par ses remarques tardives sur la place que Laurent Ruquier lui a offerte ainsi qu’à Éric Naulleau dans son émission On n’est pas couché. Les françaises et les français ne font pas de la couleur des joueurs de foot de l’équipe nationale un sujet d’actualité. Ils ont besoin de quelqu’un qui est capable d’étaler un programme politique dont la justice sociale prend le dessus sur des racontars et médisants qui précipitent l’ennui chez le lecteur et le poussent à ne plus continuer à lire. Au lieu d’affronter des sujets exigeant la distanciation de par leur complexité, Zemmour abandonne la déconstruction en faveur de la destruction du vivre – ensemble en vue d’attiser la haine entre les français tout en mettant en exergue la responsabilité d’autrui du mal de la France, même si cet autrui est une composante du Je français qu’il veuille ou non.
Pour ce qui est de l’assimilation, un terme sur lequel Le Pen a déjà surfé et que Zemmour continue à ruminer à chaque fois qu’il parle de l’immigration. J’ai parcouru La France n’a pas dit son dernier mot, enquête d’une construction théorique de l’assimilation pour lui attribuer le qualificatif de notion, je n’ai rien trouvé, hélas. Je me suis posé la question comme un débutant qui veut apprendre pour comprendre le sens du mot. Que veut dire assimilation ? Je me suis penché sur les explications que les dictionnaires m’ont proposées au sujet de l’assimilation. J’ai retenu que l’assimilation comporte plusieurs définitions et que son sens varie selon les domaines auxquels on l’attribue. Du coup, l’assimilation en biologie diffère de celle que l’on rapporte à la psychologie. L’assimilation, au sens cognitif, relative à la faculté de connaître comme l’indique La rousse, aiguise la compréhension. Assimiler un texte, c’est le comprendre et se l’approprier. La question qui me taraude est la suivante : Existe-t-il une assimilation sociale et culturelle ? C’est là que le bât blesse et où Zemmour prêche l’amalgame. De quelle assimilation parle-t-il ? La réponse ne trouve refuge que dans son esprit. C’est la réalité dans toute sa complexité qui s’occupe de cette réponse, loin des dictionnaires. Toutefois, l’assimilation qu’Eric Zemmour prononce et écrit retentit dans l’oreille de l’auditeur lambda et du lecteur comme adaptation sociale à laquelle l’immigré ou le français d’origines maghrébines ou africaines doit s’assimiler pour renforcer le lien social. Or, la réalité nous informe que ce genre de recettes perçu peut s’affronter à l’entêtement du vécu, car l’assimilation ne se fait pas mécaniquement, comme si l’adaptation à une culture supposait que l’on déshumanise la personne et on lui ôte sa particularité qui fait de lui une différence que l’on doit cultiver et non la fondre et y implanter une nouvelle identité. C’est difficile, voire impossible. De quoi donc peut-on parler à la rigueur ? De l’intégration, même si ce mot aussi prête à confusion et appelle à son tour l’amalgame. Mais, mérite d’être sujet de questions. Le dernier roman de l’écrivaine franco-marocaine Leila Bahssain illustre l’embarras dans lequel nous met l’intégration et en dit long sur la complexité de cette intégration qui élimine la diversité et la différence en se cantonnant derrière l’assimilation et l’uniformité. « Intégrer, intégrer. Intégrer qui dans quoi ? Dans mon esprit, le mot brumeux virait à l’obsession. Si bien qu’il m’arrivait au réveil d'examiner mon portrait dans la glace. Rien n’a changé. Me réveillais-je un matin dans l’habit tant convoité ? Ça y est, elle est intégrée ! Le reptile a mué ! Papillon sorti de sa chrysalide ! (3)»
Éric Zemmour a finalement étalé toutes ses cartes. Il me semble qu’il sombre dans le délire et le déni. Je ne sais pas pourquoi certains français lui collent l’étiquette d’intellectuel alors qu’il est inacceptable de distinguer entre une religion et un paradigme d’ordre politique. Le voilà en train d’assimiler l’islam à l’islamisme. C’est ce que j’appelle la réduction .Puisque c’est facile à faire, n’importe qui peut réduire l’islam en islamisme. Ceci prouve encore une fois qu’Eric Zemmour est l’antithèse de l’érudition. Il se trouve que pas mal de penseurs français de par leurs recherches ont apporté des clarifications sur l’islam entant que texte susceptible d’activer la richesse herméneutique d’une part, et l’islamisme entant que religiosité. C'est-à-dire que l’islam comme religion diffère de la religiosité. « ... Mais ce qui fonctionne ici, justement, c’est la religiosité et non pas la religion, c’est sa manière dont le croyant vit la religion et s’approprie des éléments de théologie, des pratiques, des imaginaires, des rites pour se construire une transcendance. Et dans le cas du djihadiste, cette construction l’installe dans le mépris de la vie, la sienne et celle des autres. (4) » Il s’est avéré que la liberté de conscience est un acquis laïque, si j’ose dire. Personne, y compris Zemmour, n’a le droit de s’immiscer dans la sphère privée de l’individu et lui imposer une quelconque religion. Bien sûr, le recours à la violence, voire au meurtre au nom de l’islam ou de n’importe quelle religion, est à mon avis une forme de religiosité à combattre en réfléchissant sur ses mobiles et en proposant des solutions qui font l’objet de concertation entre les acteurs de la société afin d’assigner à la discorde son sens dynamique. C’est à cette discussion qu’Eric Zemmour ne veut pas assister.
Arrive le cheval de bataille préféré d’Éric Zemmour et d’autres partis politiques en France, en l’occurrence, ceux de droite et d’extrême droite. Il s’agit d’immigration. C’est là aussi que le polémiste enduit la doxa de leurre en prétendant que l’immigration est à l’origine de tous les maux dont souffre « l’identité nationale ». Le problème d’Éric Zemmour est qu’il ne problématise pas. Il n’ose pas poser les vraies questions qui permettent d’analyser le mouvement migratoire et le contextualiser afin de dégager des réponses à cette problématique dans un cadre qui préserve les droits et détermine les devoirs de celles et ceux qui ont quitté leurs pays d’origine pour s’installer en France enquête d’un autre horizon , loin d’une réalité qui n’engendre que le désespoir. Questionner l’histoire, c’est assigner à l’immigration une connotation politique et économique. Chose à laquelle Éric Zemmour ne peut pas toucher et pourtant lui-même est issu de l’immigration. L’émerveillement, démuni de recul chez certains journalistes, sans parler du sens commun, vis à vis du discours du polémiste, les pousse à le qualifier d’historien. Je leur réponds que votre « intello » a raté son rendez- vous avec l’histoire surtout sur cette question d’immigration. Il sait très bien, mais omet de le dire pour des raisons liées à sa construction psychologique allergique à autrui, que l’immigration postcoloniale est le comble d’une exploitation qui a commencé par la dilapidation de richesses des pays colonisés et se termine par la double exploitation du corps assimilée au meurtre du nom pour reprendre la psychanalyste Karima Lazali. La lecture de l’ouvrage écrit la chercheuse franco-marocaine Chadia Arab, Dames de fraises, doigts de fée, dévoile ce qu’Eric Zemmour tente de camoufler, à savoir, ce besoin de main-d’œuvre pour développer l’économie de la France. Dans mot main réside l’envie de recruter le corps en signe d’aliénation. « Chadia Arab appelle l'histoire pour faire le parallèle du caractère docile des travailleuses comme critère de recrutement des doigts de fée avec les cachets verts que Mora affichait sur les poitrines des hommes qui voulaient aller extraire du charbon au fond de la mine en France. S'agit-il d'une ruse de l'histoire ou d’une sorte d'esclavagisme qui fait partie du fonctionnement du capitalisme ? Entre migration et immigration rien n'a changé puisque dans tous les cas on est choisi. »(5).La suite on la connait, le corps machine devient ghettoïsé.
Quelle déduction !! Le polémiste brille par ses réductions en articulant l’immigration à la fameuse expression « Le grand remplacement », comme s’il s’agissait de l’une des ruses de l’histoire. Du coup, le colonisateur devient colonisé et la France s’est convertie en terre d’islam. Cette tactique qui vise le règne de la phobie et sème la division entre les français ne peut pas marcher, pour la simple raison, c’est que le sens de l’altérité s’est ancré au sein d’une société dont la majorité croit, non seulement à en la diversités , mais aussi en la richesse de la différence et la différance. Un pays qui a vu la naissance des Droits Humains ne peut et ne veut pas être séduit par le délire. "La théorie du remplacement. " Drôle de formule. Le décalage sémantique et réel entre la théorie et le remplacement est remarquable. A mon humble avis, la théorie est une construction discursive, régie par la raison telle qu’elle est développée dans les sciences exactes, n’a rien avoir avec le mot remplacement. Éric Zemmour, avec ses propos effrayants, déshumanise la mobilité et porte atteinte à la richesse de la diversité culturelle. Voici quelques échantillons de sa projection sur le remplacement. « Le paysage urbain de la Seine-Saint-Denis est dévasté, les petits commerces traditionnels des villages français ont disparu pour laisser place aux grandes surfaces à l’extérieur des villes, et aux commerces estampillés hallal (boucheries, mais aussi librairies ou encore kebabs), sans oublier les agences de la Western Union, qui transfèrent le produit des allocations sociales françaises ou des divers trafics vers les familles restées au bled. La plupart des cafés sont réservés aux hommes par une loi non écrite mais appliquée avec rigueur, les femmes voilées, de plus en plus nombreuses, y compris celles vêtues du niqab les couvrant de la tête aux pieds, prohibés par la loi du 11 octobre 2010, interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public que personne n’ose faire respecter, les hommes se rendent à la mosquée en djellaba. Cette colonisation religieuse entraîne une colonisation visuelle qui entraîne une colonisation des âmes. (6)» Et puis, je me réveille, je sors de chez moi et je constate que la France n’est plus la France. J’ai l’impression qu’on est en Afghanistan. C’est hallucinant. Ces propos ne doivent pas passer inaperçus. « De l’autre côté, la civilisation islamique a pris pied sur le sol européen, avec des diasporas de plus en plus fournies, qui imposent leurs mœurs, leurs lois, leurs imaginaires, leurs patronymes, dans une logique colonisatrice. (7) » C’est le summum de la fiction.
L’histoire des noms qu’Eric Zemmour voudrait remplacer par d’autres noms compatibles à ses yeux avec la culture chrétienne , on opposition aux noms musulmans , est l’incarnation nostalgique d’un retour au passé colonial. Est-il conscient du danger de la convocation de cette période entachée de sang ? Le meurtre du sujet, pour paraphraser Karima Lazali est aussi grave que l’extermination raciale. C’est là où le nazisme est complice sans le vouloir de la colonialité. Le politique, le vrai, c'est celui qui apprend des enseignements de l’histoire. Il me semble qu'Eric Zemmour n’a rien saisi des séquelles d’une plaie difficile à guérir. Dans son intéressant ouvrage Le Trauma colonial, la psychanalyste Karima Lazali analyse à partir de textes d'écrivains cette période coloniale durant laquelle le meurtre n’était pas seulement assigné à la chair, mais aussi au nom. « Le meurtre est dans ce cas une conséquence logique de la destitution du nom. Nous passons ainsi du sujet « Arabe »innomé à l’innommable du meurtre colonial. (8) » Éric Zemmour veut harmoniser la déconstruction avec la destruction. Dans son discours, la volonté de détruire est nocive par rapport à autrui, dans la mesure où l'effacement est perçu comme élimination symbolique d’un nom qui ne définit pas l’identité de la personne, Si la déconstruction commence par la destitution du nom, pour reprendre encore une fois Karima Lazali. L’objectif auquel aspire Zemmour ne sera atteint que dans un monde imaginaire. C’est que j’appelle fantasme. Pour combien de temps va durer ce fantasme ?
Notes
(1) La France n’a pas dit son dernier mot
Eric Zemmour
Editions Rubempré & Vautrin 2021
(2) Qu’appelle t-on penser ?
Martin Heidegger.
(3) Extrait du roman
La théorie des aubergines
Leila Bahssain
Editions Albin Michel 2021.
(4) Le djihad et la mort
Olivier Roy
Editions Seuil 2016
Pages 75-76
(5) Extrait de ma lecture de l’ouvrage Dames de fraises, doigts de fée de Chadia Arab, parue sur le site du magazine Tolerance.ca.
L’ouvrage Dames de fraises, doigts de fée .Editions En toutes Lettres.
(6) La France n’a pas dit son dernier mot. Pages 81-82
(7) Ibid. Page 17
(8) Le trauma colonial
Karima Lazali
Editions La découverte
2018
Pages 122-123