Ishtar dans La théorie des aubergines (1)


La diversité de La théorie des aubergines transgresse la géographie et rallie l’histoire à la mythologie. Cet univers d...
Abdelmajid BAROUDI

La diversité de La théorie des aubergines transgresse la géographie et rallie l’histoire à la mythologie. Cet univers destiné à faire dialoguer la différence, raconte une divinité dont la fertilité irrigue toute la Mésopotamie(2). Ishtar atteste de cette déchirure que provoque la rencontre de la mort et l’amour. Ishtar, n’est elle pas l’incarnation de ce périple céleste pour visiter la divinité et cette descente aux enfers que la déception a causée ? Que reste-il de cet amour que Gilgamesh a assassiné ? Il n’en reste que la littérature. « Tes yeux, quand ils sourient, la vigne éclot. ``.(SIYAB) Seule la poésie illustre la métaphore et réconcilie la fertilité avec le verbe que Ishtar incarnait. Elle ne peut plus accumuler davantage de déceptions. La guerre ne produit que la mort et l’amour qui se rétrécit comme une peau de chagrin annonçant la rupture avec l’illusion. C’est fini les divinités, à Ishtar de prendre son destin en main et aller voir sous d’autres cieux ce qui lui réserve la vie. La descente aux enfers est désormais convertie en exil.

Fidèle à son personnage, Leila Bahssain retrace le parcours d’Ishtar en nous introduisant dans un univers plein de contradictions et riche en complexité. C’est à nous lecteurEs de déchiffrer la contradiction et de déconstruire la complexité. Il se trouve que le personnage de Dija, contrairement à celui d’Ishtar nous enseigne sur, non seulement la différence des deux parcours, mais aussi sur la possibilité de faire la distinction entre deux statuts : l’un est le produit de l’immigration, tandis que l’autre se rapporte à la migration. Dija a immigré pour des raisons familiales. Elle a appris les codes d’une intégration qui pose toujours problèmes. En revanche, Ishtar est la « Splendeur que la bêtise en peu de temps a brisée », pour reprendre la narratrice. Au demeurant, la migration d’Ishtar est d’ordre politique dont le prolongement de l’histoire revêt une connotation mythologique. Autrement dit, cette splendeur que la bêtise a brisée, renvoie à mon sens à une endurance commise par une complicité involontaire du politique avec le religieux contre la dignité et la liberté d’une existence dans laquelle la patrie n’est que parenthèse, enquête d’un ailleurs contraint, mais plus paisible en dépit des cicatrices de la nostalgie. D’autant plus que la migration d’Ishtar telle qu’elle est animée par la contradiction que comporte ce devenir, symbolise la dimension culturelle de la mobilité d’Ishtar la déesse et Ishtar la migrante. Seulement voilà, si Ishtar la déesse a préféré le voyage au ciel pour rendre visite à la divinité ,suite à une frustration affective, Ishtar la migrante fut obligée de quitter sa terre natale incendiée par le feu d’une fausse vérité qui asphyxie le Je et réprime l’idée selon laquelle la fonction de penser ne se délègue point, comme l’a justement écrit Alain. Toutefois, le nom d’Ishtar aiguise l’imagination de la poésie, le roman et le théâtre.

On imagine Ishtar, le personnage de La théorie des aubergines descendre la Tour de Babel, allant répandre sa langue. Le ciel voulait que cet idiome soit écrit en minuscule. « Pas de distinction entre voyelle et consonnes non plus. » (3) Mais il s’est avéré que la langue rime avec le pragmatisme. D’où le vouvoiement qu’impose la hiérarchie qu’il faut exprimer en majuscule. Le ciel, avant la diversité linguistique, ne savait-il pas que la langue est un instrument de pouvoir ? En plus de sa langue dont elle ne voulait pas se débarrasser, Ishtar a ramené avec elle sa beauté qu’elle a héritée de l’orient et qui traduit une singularité, laquelle résume la complexité du vivre- ensemble animée par la discorde. Son foulard en est l’illustration. Ne s’agit-il pas de soumission ? Son foulard, n’est-il pas une liberté qui voile un non-dit que la pensée unique a forgé ? Personne n’a le droit de l’interrompre quand elle prend la parole. « je suis devenue un puzzle en tas. avec des pièces manquantes et d'autres en trop. vos opinions vous appartiennent. mon voile, c’est mon identité rescapée, something like ma façon de revendiquer. je l’enlève et je suis qui ? qu’est ce qui me reste sans ce voile ? qui suis-je après ? je mets un foulard à ma façon et ne me voile pas le visage, so what ? vous voyez bien que je ne suis ni un homme ni un agneau artificiel et que je suis une fille. » (4) Ecoute Ishtar, j’apprécie ton franc-parler, ta façon de te défendre et surtout tes questions qui nous incitent à penser l’identité. Mais ton identité rescapée, n’est-elle pas une trahison inconsciente de ce que Ishtar la déesse t’a légué ? Ce courage d’associer l’amour à la guerre. Et puis, le temps nous dira, compte tenu des changements qu’impose la réalité, que l’identité que tu défends échappera à la mêmeté. Finalement, tu vas toi-même répondre à la question : qui suis-je ? Il me semble que tu commences à négocier ton identité, tant mieux. Du manger à la musique Halal, du foulard au bonnet, l’invisible commence à devenir petit à petit visible. La peau appelle les cheveux. « Depuis quelques jours, Ishtar a troqué ses voilages contre un couvre-tête original. Un bonnet noir brodé de paillètes qui cache les oreilles (ce qui reste pratique pour coincer le portable encas de besoin) et, détail selon moi subversif ou tout du moins progressiste, laisse voir le cou. » (5) Tu finiras par te dévoiler. Je connais des intellectuelles qui se sont débarrassées de ce morceau de tissu. Elles sont devenues plus belles qu’elles l’étaient. Bon sang, qui suis –je pour te noter, moi qui défends ta liberté de porter ce que tu veux ? Ne suis-je pas en train de sombrer dans la projection, tout comme Véronique ? Tout compte fait, l’amalgame planera toujours sur la teneur et la tonalité de la formule car Allah Akbar ne dénote plus l’émerveillement. Ce revirement s’explique par la vengeance d’un idéal blessé, pour paraphraser Fethi Benslama. D’où la phobie qu’engendre la formule. Nous retournons à la case de départ et re bonjour l’amalgame. Soudain, la déesse ressuscita. Elle s’adressa à Ishtar avec un silence plein de remords lui signifiant que la mort est une vie dont la fertilité exige la guerre. Mon destin était le ciel et l’enfer, le tien est la terre. Je n’ai saisi cette vérité que lorsque j’ai appris de ton expérience que la vie ne vaut pas la mort.

Voici donc une rencontre entre le mythe et la fiction dans laquelle l’errance est synonyme d’apprentissage que nous offre la lecture de La théorie des aubergines.

1- La théorie des aubergines.
Roman
Leila Bahsain
Editions Albin Michel 2021
2- Source : Wikipédia
3- La théorie des aubergines. Page 186
4- Ibid. Page 187
5- Ibid. Page 225